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Bienvenue sur La Fille qui Pétille! J'ai créé un blogue sur les bulles pour partager ma passion et mes découvertes. Champagne, crémants, cava, prosecco et autres appellations effervescentes de ce monde, y compris le cidre, y sont à l'honneur. Bonne visite!


La danse des origines

Quand j’étais une toute petite Julie, j’adorais me faire raconter des histoires. Une grande partie d’entre elles commençaient par l’incontournable, voire incantatoire: « Il était une fois... ». Malgré sa redondance, cette formule était loin de me lasser, au contraire. Elle annonçait le moment où une porte allait s’ouvrir.



J’ai entendu parler de cette bouteille, ma curiosité a été titillée et j’ai eu envie d’y goûter.

En commençant cet article, j’ai réalisé que j’utilise souvent ce style de phrase en amorce. Je me suis dit que je pourrais trouver autre chose pour varier, puis je me suis souvenue du « Il était une fois… » et j’ai choisi d’assumer ma redondance, parce que de toute façon, c’est comme ça que l’histoire a commencé…

 

Échos de la campagne catalane – Raventos i Blanc.

Sont venus à mes oreilles des commentaires élogieux sur les vins de cette famille. Il s’agit d’une longue lignée de vignerons catalans avant-gardistes, amoureux de la nature, un brin rebelles, qui ont toujours aimé faire les choses à leur façon.

Et au moment où on se parle, ça veut dire élaborer un effervescent hors de l’appellation cava. En biodynamie de surcroit. Boum! Il fallait que je goûte à leur jus étoilé.

 

La bouteille depuis un moment s’était assoupie dans ma petite cave de fortune.

Ce que j’avais entendu sur leur production m’avait enchantée, je sentais que ce serait en plein dans mes cordes. J’avais hâte d’y goûter, mais je reportais le moment, car j’avais cette légère peur d’être déçue. 

 

Mise en contexte – Méthodes de culture dans le monde du vin.

Même si les vignerons et maisons qui adoptent des pratiques respectueuses de l’environnement sont de plus en plus nombreux (avec ou sans certification), ils sont encore en minorité dans le grand paysage viticole. Il est difficile de trouver des chiffres précis, mais lors de mes recherches, j’ai lu à plusieurs reprises que c’est environ 90% de la production mondiale de vin qui est menée en viticulture dite conventionnelle. Sa réglementation autorise entre autres l’utilisation de pesticides, insecticides et engrais chimiques selon certaines proportions.

Parmi les certifications plus écologiques et durables, on retrouve différents degrés en terme d’exigences, des cahiers de charges plus ou moins pointus, la plus connue étant la méthode biologique et la plus poussée la biodynamique (j’exclus volontairement les vins dits nature, car ils ne sont régis par aucune appellation).

 

ATTENTION – détour.

 

Laisser entrer l’imprévu - De l’utilité du chaos.

Environ deux semaines après avoir débuté la rédaction de cet article, excitée qu’il soit presque prêt, je me suis bizarrement sentie poussée dans une autre direction: faire plus de recherches sur la biodynamie.

 

Affrontement : La griserie que procure la vitesse / Les questionnements.

« Vite, il faut publier, cette fois tu es prête plus rapidement, tu as la possibilité de leur servir cet article dans les prochains jours. Ne laisse pas ton attention se faire détourner. » Me disait une petite voix.

Ça cogne.

Et une autre voix : « Est-ce que j’ouvre cette porte? Est-ce pertinent? À quel point puis-je laisser partir mon texte dans « toutes les directions »? Serais-ce mieux de publier plus vite ou d’investiguer? ».

 

Verdict, l’heure des choix - Laissons la délicatesse de côté.

La glorification de l’exécution rapide des tâches et la survalorisation de la productivité sont des valeurs qui ont pris beaucoup de place dans notre société et vers lesquelles j’envoie mes deux majeurs bien dressés.

Je trouvais que cette écartade allait de pair avec mon sujet, alors j’ai plongé. Joyeusement.

 

« Écriture biodynamique ».

Ça n’existe pas, mais c’est une image qui me plaît. Accepter des éléments imprévus, vivants, dynamiques, qui s’invitent dans le processus de création. Plutôt que de les voir comme des éléments perturbateurs, les laisser dire ce qu’ils ont à dire et leur permettre d’enrichir l’idée première. Accepter qu’il y a des perspectives plus vastes que ce qu’on avait envisagé originellement.

 

La biodynamie - Une histoire de valeurs et de perspective.

Les règles à la base de la biodynamie sont portées par un respect de la nature dans tout ce que ce terme implique de plus large. On considère la terre cultivée comme faisant partie d’un écosystème où chacun joue un rôle important. Le sol, le sous-sol et la quantité phénoménale d’organismes qui y vivent, y compris ceux qui sont imperceptibles à l’œil nu, les micro-organismes, les insectes, les plantes, les animaux et l’homme, en élargissant encore une fois bien au-delà de ce que notre œil humain peut percevoir - jusqu’aux astres.

L’être humain se perçoit comme un élément faisant partie du grand portrait, plutôt que comme LE maître, à l’extérieur, pilotant à distance selon ses envies.

Il interagit avec toutes ces composantes, il écoute, pour permettre à la vie de faire ce qu’elle fait de mieux, être vivante, croître, danser selon ses rythmes, selon différents cycles.

 

Échos venus d’un autre temps - Une histoire de rythme.

La biodynamie c’est choisir un retour à des valeurs plus anciennes. Pas archaïques, mais empreintes de sagesse, assurément à contre-courant de cette cadence moderne qui aime l’accélération. C’est redonner leur place aux ryhmes lents, laisser œuvrer les différents « tempi » de la nature.

 

Connectés à leur terre.

Les vignerons et vigneronnes qui choisissent cette approche sont plus présents dans les vignes, ils lui prodiguent divers traitements pour stimuler ses défenses naturelles. Le désherbage se fait parfois avec l’aide des moutons (qui par le fait même en profitent pour fertiliser les sols!). D’autres travaillent de concert avec les chevaux, c’est le cas de la maison dont je vais vous parler. Le cheval est plus léger qu’un tracteur, il ne comprime pas la terre qui peut alors mieux respirer, les racines voyagent donc plus facilement.

Ces hommes et femmes qui passent beaucoup de temps dans leurs vignes connaissent mieux leurs parcelles, développent une profonde déférence envers la nature et une capacité à la sentir, ils entrent dans sa danse. Ils aiment leur terre. On le voit dans leurs yeux lorsqu’ils parlent d’elle.

Cette philosophie dans le champ a des répercussions sur la manière d’élaborer le vin. Quand on a du beau raisin il y a moins à faire. On est moins interventionniste. On cherche l’expression du terroir, l’authenticité, plutôt que la perfection. Ça donne des vins moins lichés, vibrants, parfois avec un petit côté sauvage.

 

Entre désir et peur.

Bon, j’avais peur d’être déçue je vous disais. Car lorsqu’on prône et applique de telles pratiques, il me semble que ça DOIT se ressentir dans le vin. J’espérais que cet espoir ne soit pas déçu. Le vin lui-même s’est chargé de me répondre, il est venu me rassurer.

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Raventos i Blanc - L’Hereu

Millésime 2016 (en SAQ vous trouverez le 2017)

Pas un cava, mais Conca del Riu Anoia

Maccabeu 60 %, Parellada 20 %, Xarel-lo 20 %

Non dosé

Biodynamie

Taux de sucre : 4,1 g/L

24,00$

 

 Crédit photo: Julie Carpentier

Tout de suite après l’ouverture de la bouteille.

Je goûte à un vin effervescent plein de vitalité, très belle nervosité. Traces de verdure, fleurs blanches.

Il a du caractère, une pointe d’amertume, comme un clin d’œil. Énergiques, ces bulles veulent jouer. Certains vins nous caressent les sens, celui-ci nous lance la balle. À chaque gorgée je suis ravie, il y a de l’interaction.

 

Après quelques minutes.

Souplesse. Je suis captivée, j’ai hâte à la prochaine gorgée pour découvrir ce qu’elle aura à me dire – j’en suis distraite de mon repas.

Puis c’est la minéralité qui ressort.

 

Le vin qui bouge.

Je me suis amusée à le boire en parallèle dans deux verres. Pour la science bien sûr! J’ai donc utilisé deux récipients différents : un verre tulipe (spécialement conçu pour les bulles - avec un piqué, fond en forme de « v » qui stimule l’effervescence) et un verre à vin blanc (haut plus ouvert). Mon Hereu n’évoluait pas de la même façon selon le support, c’était le but du jeu, expérimenter des rythmes de déploiement différents.

Dans le verre tulipe, j’ai perçu un léger côté épicé (cumin). Et dans le verre à vin blanc, de la pomme verte et une touche de lavande.

Je me suis demandé si j’avais vraiment senti tout cela, ou si ma perception avait été exacerbée, voire hallucinée par l’ivresse.

Avec le recul je peux vous le dire, j’étais légèrement ivre… mais j’avais bien perçu tous ces parfums!

 

Malgré quelques détours - Révélation de l’assemblage improbable.

Cette rencontre avec L’Hereu, mon premier contact avec les bulles de la réputée famille Raventos, m’a donné envie de vous parler de JEU. C’est ce que cette dégustation m’a inspirée.

À cause du caractère joueur de cet effervescent. Et en creusant un peu, j’ai découvert avec joie que ce lien avait des ramifications plus profondes. Retrouver l’esprit du jeu, c’est un retour à l’enfance, en d’autres mots… 

 

Un retour aux origines - Portrait de famille.

Le clan Raventos est dans le paysage de la viticulture depuis 1497. Actuellement, la maison est menée par la vingtième (Manuel Raventos) et vingt-et-unième génération (Pepe Raventos). Dans cette grande lignée de vignerons catalans, Josep Maria Raventos i Blanc est celui qui, en 1977, fonde l’appellation cava DO (dénomination d’origine).

 

Construire, puis quitter le phare.

Lorsque je parle d’un retour aux origines, pour la famille Raventos et pour 8 autres producteurs, cela impliquait une sortie des rangs du groupe cava DO (autour de l’année 2011). Chez Raventos, la dénomination sera remplacée par Conca del Riu Anoia (non reconnue par l’Union). Cette terminologie désigne la région et met donc l’accent sur la notion de terroir.

Selon un article de Decanter, 2019 connaît une autre vague de départs de l’appellation cava (9 producteurs).

Quand on a plus envie de jouer.

Les producteurs déserteurs reprochent à l’appellation cava des standards de qualité trop peu élevés et ils considèrent que cela nuit à l’image du produit. Les règles sont jugées trop permissives, tant au point de la viticulture que de la viniculture. Elles permettent la production d’un vin effervescent de qualité moindre vendu à prix dérisoire (en 2012, toujours selon un article de Decanter, on pouvait acheter du cava dans les épiceries à moins de 2 euros, ce qui correspond à environ 3,00$!). Le volume est privilégié, plutôt que la qualité et la typicité.

 

Faire preuve de discernement.

Attention, il y a de très beaux cavas! Soyez simplement conscients qu’il y a de grands écarts au niveau de la qualité au sein même de l’appellation.

 

Les bulles de chez Raventos – Préceptes de la maison :

  • Cépages indigènes seulement (originaires de la région – donc pas de chardonnay ni de pinot noir).

  • Culture biodynamique.

  • Élevage sur lies, minimum 18 mois (le double du minimum imposé aux cavas - 9 mois).

  • Cuvées millésimées seulement (raisins d’une même année, ce qui n’est pas la norme dans l’élaboration des vins pétillants où la majorité de la production est un assemblage de plusieurs années – BSA = brut sans année).

 

Choisir de faire cavalier seul – Créer ses propres règles.

Quand les valeurs des instances supérieures ne sont pas en adéquation avec les nôtres, on perd l’envie de s’investir, on perd également l’enthousiasme. Les vignerons qui ont divorcé d’avec la dénomination d’origine, l’ont fait pour donner toute la place aux préceptes qui leurs sont chers, ils ont redonné du sens à leur travail, portés par plus de passion, ramenant par le fait même la fierté et le plaisir dans l’équation.

 

Chanter en travaillant.

Nous pouvons tous nous souvenir d’une personne qui aime son travail, le simple fait de la côtoyer met du soleil dans notre journée. On reçoit une partie de la lumière qui émane d’elle. Elle ne semble pas travailler, elle a plutôt l’air de s’amuser… 

 

Dans la boîte des objets perdus.

Le jeu est associé au monde des enfants, mais trop souvent on oublie qu’il est toujours en nous. On l’a peut-être mis de côté en chemin, ou on l’a oublié dans le fond d’un placard. Volontairement ou non.

C’est une notion peu valorisée dans notre société. On lui préfère l’efficacité et la productivité. Jouer c’est futile, c’est une perte de temps, surtout qu’on a jamais assez de temps! C’est pour ça qu’il faut courir constamment.

Peut-être que si le jeu était plus présent dans nos vies on aurait moins besoin de divertissement? C’est une véritable industrie qui a pris une place disproportionnée.

Le divertissement n’est pas mal en soi, mais c’est rendu tellement facile d’y avoir accès avec la technologie, que c’est souvent notre premier réflexe quand ça ne va pas. 

Pourquoi avons-nous tant besoin de divertissements? Savons-nous ce qui propulse réellement cette quête? 

 

L’art de jouer - Hymne à la légèreté.

Le jeu génère de la joie. Chez le joueur et aussi chez les spectateurs. Avoir le droit de se lâcher lousse, oser s’abandonner, avoir l’air fou, être spontané. Célébrer une sorte de folie, rêver large, perdre la notion du temps, faire des erreurs. Pas d’évaluation, pas de jugement.

Parfois il y a des règles et dans la contrainte on apprend à être plus créatifs. La satisfaction et la fierté de trouver une solution inédite à un problème. Toujours exaltant. Se prendre moins au sérieux, tout en prenant soin de ce qui est sérieux.

Rire, avoir du plaisir, ensemble. Aimer.

Nos partenaires de jeu on les choisit. A-t-on envie de jouer avec quelqu’un qu’on aime pas? Non. On joue avec ceux qu’on aime. Et on aura envie de jouer avec ceux qu’on veut aimer et de qui on veut être aimés.

En tant qu’être humain, on a tous ce désir d’interaction, ce besoin de connexion. Ouvrir une bonne bouteille est souvent un prétexte pour se réunir. Mais pas pendant le confinement (à moins de faire l’apéro en visioconférence!). Parler de jeu en ces temps de pandémie peut paraître bizarre, mais je pense que plus que jamais on a besoin de revenir à des choses simples, mais significatives, chérir ce qui nous est vraiment précieux.

J’espère de tout coeur que cette crise, malgré ses ravages et ses drames, nous permette de retourner à ce qui compte et qui n’a pas de prix, qu’elle nous amène à célébrer davantage le vivant sous toutes ses formes. Prenez soin de vous et de ceux qui sont dans votre cœur. Je vous embrasse fort.



EN ANNEXE

Pour ceux et celles qui voudraient en apprendre plus sur Raventos i Blanc et leurs différentes pratiques, leur site web est une véritable mine d’or. Textes, photos d’archives et actuelles, vidéos et même un très beau magazine à télécharger gratuitement en format PDF avec de superbes photos et entrevues : 

https://www.raventos.com


Lorsque le raisin se transmute en or

René et un nouveau temps