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Bienvenue sur La Fille qui Pétille! J'ai créé un blogue sur les bulles pour partager ma passion et mes découvertes. Champagne, crémants, cava, prosecco et autres appellations effervescentes de ce monde, y compris le cidre, y sont à l'honneur. Bonne visite!


Lorsque le raisin se transmute en or

Je vais commencer avec un clin d’œil à mon dernier article, La danse des origines. Comme règle du jeu, j’ai cette fois choisi d’ouvrir une nouvelle bouteille sans savoir les cépages utilisés pour l’assemblage. J’avais envie d’aborder ce vin sans idée préconçue. Mais il ne s’agissait pas d’une dégustation à l’aveugle, car j’avais moi-même choisi d’aller (gustativement) visiter ce vignoble à une heure de la Suisse et encore plus proche de l’Allemagne…

 

Virée en Alsace.

J’ai sélectionné un produit biologique, un crémant d’Alsace. Les spécialistes ou les amateurs de cette appellation savent quels sont les cépages propres à la région, mais comme je ne suis pas très familière avec cette dénomination, mon manque de connaissances était un atout. Aucun filtre n’avait la possibilité de teinter mon expérience et je me suis volontairement abstenue de faire tout effort pour me rappeler d’une lointaine lecture détaillée sur les différents vins effervescents français.

 

Pschiiiit… silence on goûte.

Odeur de levures à l’ouverture, nez de citron, titillement de verdures. Des caractéristiques typiques pour un effervescent blanc.

Généreux, gras. Une certaine puissance, mais avec une belle rondeur. Accents de pâtisserie. Je dois avouer, si j’avais eu à parier sur un cépage je n’aurais pas pris la chance de déposer une grosse somme sur la table.

Mais surtout, dans la dégustation s’est invitée cette sensation, une énergie terrestre qui m’a littéralement envahie. Je ne sais plus si c’est arrivé à la première gorgée, en tout cas c’était dans les premières. L’impulsion s’est produite une fois. Forte, telle une présence. 

 

Comme un Polaroid.

Je me souviens encore où j’étais quand c’est arrivé. Dans la cuisine, debout, proche du frigo, figée par l’émergence de cette sorte d’apparition. Il me reste une photo, l’empreinte énergétique de la sensation est archivée en moi.

C’est ce qui m’a le plus surprise de ce vin, et cette expérience, bien que brève comme un éclair, m’a marquée. La sensation est difficile à traduire avec des mots. J’ai été encore plus étonnée que cette manifestation soit l’oeuvre d’un effervescent.

 

De crémant et d’astres.

Les bulles, après l’ouverture de la bouteille, sont fort habiles pour nous faire faire le même chemin qu’elles, c’est-à-dire s’élever. Leur ascension dans le verre se poursuit pour nous monter à la tête de la plus élégante façon qui soit. Ce n’est pas pour rien que le champagne et ses cousins sont prisés aux jours de fête. Certaines cuvées pousseront même l’audace jusqu’à nous emplir le crâne de perséides.

Or, le crémant d’Alsace dont je vous parle s’est présenté à hauteur de corps, incarné. Une généreuse rencontre de plexus, une rencontre solaire.

 

Qui es-tu?

Après cet épisode, j’étais encore plus curieuse de découvrir avec quels matériaux on avait réussi la prouesse d’édifier cette apparition.

 

Les pinots d’Alsace.

Surprise, l’élixir étincelant est majoritairement composé de pinot blanc (à 80%). Le pinot noir fait également partie de l’assemblage (à 20%).

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Bernhard & Reibel

Crémant d’Alsace Brut 2016

Certifié Bio depuis 2003, pratiques biodynamiques.

27,35$ à la SAQ

Pinot Blanc 80% - Pinot Noir 20%

Sucre : 4,1g/L (selon l’agence Boires) 9,9g/L (selon la fiche sur le site de la SAQ).

Minimum 12 mois sur lattes

Crédit photo: Julie Carpentier

Crédit photo: Julie Carpentier

Vous avez dit pinot blanc?

Le pinot noir, le pinot gris et le pinot blanc, sont finalement une seule variété. Les deux derniers sont des mutations du pinot noir, d’où le changement de couleur.

Le pinot blanc est un cépage très présent en Alsace et c’est celui qui est le plus utilisé dans l’élaboration des crémants d’Alsace blancs. Il apporte finesse et fraîcheur. Le pinot noir structure et procure du corps à l’ensemble.

 

80 + 20 = 747 234… !!?

J’en conviens, c’est un peu n’importe quoi, mais voici ce que je veux illustrer : il serait naïf et réducteur de penser que la personnalité d’un vin se résume à ses raisins.

 

Le raisin, un fragment de l’équation.

Bref, je n’ai pas trop envie de vous parler de fruits aujourd’hui, même si ça pourrait être pertinent. Si le sujet vous intéresse, la sommelière Véronique Rivest a écrit pour le magazine Exquis un excellent article sur le blanc de la famille des pinots.

J’ai plutôt envie de m’étendre ailleurs dans des sphères improbables. Les mathématiques hallucinées auxquelles je viens de faire allusion en étaient un avant-goût.

 

Précieux terroir.

C’est en effet beaucoup plus que le nom du fruit qui fait l’identité d’un vin. Le type de sols et de sous-sol, le climat, le relief, l’exposition, sont des éléments cruciaux qui sculptent et déterminent la personnalité d’une cuvée. Le revoici, notre fameux terroir.

Le domaine Berhard Reibel en a six, tous bien différents. Les raisins assemblés dans le crémant que je vous présente sont issus des terroirs de plaine, Les Graves. Sur le site de la maison, on peut lire la description suivante : « Composés de galets de densités et de tailles variées, ces sols légers ont la particularité de se réchauffer très vite. Les vins issus de ces terroirs sont des vins légers, expressifs, très fruités dès le départ et qui mûrissent rapidement. »

Tiens, tiens, intéressant…

 

De la vigne au verre – Tout un écosystème.

Un autre élément clé à considérer dans l’équation : la méthode de culture. Ici on travaille sous certification biologique et avec les pratiques de la biodynamie. On protège, on prend soin et on célèbre le vivant.

Le choix de ces méthodes de culture est motivé par un respect des sols, respect de la plante, respect de la santé des gens qui travaillent sur la terre et de celle du consommateur qui va boire le produit. On pense aussi aux générations futures. Il est hors de question de leur laisser en héritage des parcelles dont la terre est morte, épuisée.

Le style et la personnalité du vigneron seront aussi à considérer. Le précieux liquide qui se retrouve dans notre verre sera donc un résultat de la superposition et de l’interaction entre ces divers éléments.

 

Notre assemblage improbable : l’alchimie

Ce n’est pas la première fois que j’utilise ce terme en parlant de l’élaboration des vins effervescents, surtout pour ce qui est de la prise de mousse en méthode traditionnelle et la cruciale maturation qui suit. S’opère dans la bouteille une fascinante chimie polyphonique. Par sa complexité et sa richesse, elle revêt des allures d’alchimie.

 

Le lien alchimique.

Mais cette fois, je veux vous amener ailleurs, aborder ce thème sous un autre angle. Le facteur humain. Le vin existe grâce à une multitude d’acteurs, chacun jouant un rôle nécessaire et aux extrémités de la chaîne, il fait le lien entre deux personnes qui ne se rencontreront peut-être jamais. Celle qui l’a initié, le vigneron ou la vigneronne, et celle qui le reçoit, moi, vous, nous.

 

Le récipient ultime :

Dans une dégustation, il ne s’agit pas du verre, mais bien de la personne qui va goûter. Le terme destinataire serait sans doute plus approprié.

Dans ce cas-ci, c’était moi. Si nous avions été ensemble, vous n’auriez sans doute pas rencontré le génie dans la bouteille, moi non plus peut-être! Et fort probablement que mon expérience aurait été différente un autre jour, ou lors d’un autre moment de l’année.

 

L’influence du contexte - Le fameux printemps 2020.

Cette bouteille a été dégustée pendant le confinement, si je me réfère à la date de mes photos, autour du cinquantième jour.

Confinée seule, 50 jours sans contact humain, à part les gens croisés à distance dehors et les commis d’épicerie, 50 jours sans toucher et être touchée. En carence de chaleur humaine. Pour préciser le contexte, j’ai l’habitude de danser le tango argentin de façon hebdomadaire, cette danse où le côté social est très important, danse caractérisée par une grande proximité physique entre les deux partenaires, cette proximité qui implique un respect et une confiance mutuelle. La musique nous ouvre un espace où on communique avec tout notre être, sans les mots.

 

Une conjoncture unique -  Les interactions improbables.

Cet amalgame a été le terreau qui a transformé un élément relativement banal (boire des bulles) en un jaillissement inattendu, au caractère inhabituel. Car cette sensation, cette présence qui m’a été révélée en buvant ce crémant c’était quoi? Ça venait d’où?

 

Le pouvoir des sens, d’une sensation, une mémoire primitive qui s’anime de l’intérieur.

 

Un génie assoupi dans une bouteille.

Ce fut une expérience quasi proustienne. Je fais bien sûr allusion à la madeleine. Mon verre de crémant d’Alsace a fait s’ouvrir un portail, j’ai eu accès à une présence, à une forme de réconfort. La sensation avait l’aspect d’une énergie plutôt masculine, bienveillante.

 

Du côté de chez Berhard et Reibel – À la recherche du lien perdu.

En situation de confinement, le manque m’a peut-être rendue plus disponible à ce genre d’expérience, ou est-ce mon besoin qui a sans le savoir convoqué un génie endormi? La force vitale présente dans les sols avec son flamboyant cocktail de micro-organismes, les abondantes douches de soleil, les arrosages amoureux de la pluie, tous ont nourri la vigne, les soins du vigneron, ses mains, son regard et son cœur, mille pas, la présence et l’activité des insectes, la joie tranquille des animaux qui broutent, enrichissent les sols, l’enthousiasme des cueilleurs à l’œil vif qui de leurs mains récoltent chaque grappe prête pour le voyage, tous contribuent à leur façon, les grappes pesées, répandues dans le grand manège qu’est la presse pour connaître le sort de la fusion, transiter en précieux jus, transfigurés par la fermentation, la valse des métamorphoses se poursuit, on rassemble les vins clairs en plus petits comités, bienvenue dans le vaisseau d’émeraude, le bidule nous garde ensemble, la seconde fermentation bouillonne, les levures se gavent des sucres, mais ne pourront s’envoler tout de suite, patience, on fabrique de l’or. La bouteille couchée repose, les lies se donnent au vin et l’infime quantité d’oxygène qui s’infiltre imprime et fabrique des parfums, des saveurs précieuses, sculpte avec des outils de Lilliputien des bulles délicates caressantes, le temps s’étire, protège le processus et nous apprend que lorsqu’on le laisse faire son œuvre, une curieuse magie opère, l’alchimie advient.

 

Le vaisseau d’émeraude.

À chaque fois que je découvre le fruit du travail d’un vigneron ou d’un domaine familial guidé par ses valeurs plutôt que par les chiffres, grandit ma soif pour d’autres découvertes de la même trempe. Car oui, cette qualité de soins de la vigne au verre se sent, se goûte et il y a quelque chose en plus dans ces vins de l’ordre de l’immatériel. Ce quelque chose est bien réel, il se perçoit.

J’ai la sensation que toute création est d’abord la somme de chaque élément qui a permis son existence. Ensuite l’alchimie prend le relais.

Créer est une forme de service, c’est un élan qui jaillit de l’intérieur vers l’extérieur. On a besoin de deux ouvertures, une qui donne et l’autre qui reçoit, pour permettre au matériel et à l’immatériel de circuler.

J’aime penser au fait que le crémant que j’ai bu, parce qu’il a été entouré et nourri de soins attentionnés, d’amour, tout au long du processus, a été un vaisseau de choix pour la manifestation d’un évènement vinicole alchimique intime.


La danse des origines